Opéra Nabucco : le Summum fait salle comble
Le mardi 19 février 2013, le Summum de Grenoble affichait complet pour la quatrième et dernière représentation de l’opéra de Verdi Nabucco montée par la Fabrique Opéra. Ce spectacle était mis en scène par Jean-Jacques Durand et dirigé par Patrick Souillot, chef de l’Orchestre symphonique universitaire de Grenoble.
Nabucco est l’œuvre qui fait passer Verdi à la postérité. Donné pour la première fois à Milan en 1842, l’opéra rompt avec les principales règles de l’époque : le chœur chez Verdi acquiert le statut d’un personnage à part entière.
Dans cette salle du Summum, peu adaptée à l’art lyrique, le public est hétérogène. Les jeunes – enfants, étudiants français et étrangers – côtoient les moins jeunes – amateurs d’opéra, parents ou amis des intervenants.
Mais chut… le spectacle commence…
L’orchestre lance l’introduction d’un son fort et clair, sans sonorisation.
Les hébreux apparaissent en tuniques oranges, blanches et gris claires. La foule semble immense. De fait les choristes sont une centaine. L’éclairage et les couleurs chaudes nous renvoient aux images de la bible, ou plus proche de nous à la lumière du désert égyptien.
Nabucco, roi de Babylone s’impose aux hébreux. Acculés par les soldats, ceux-ci se massent en une flèche minimaliste, très visuelle, illustrant leur oppression.
C’est alors que le prêtre Zaccaria, de sa belle voix profonde – légèrement amplifiée – menace de tuer Fenena, la fille de Nabucco retenue en otage. Les fidèles s’agenouillent comme une mer de roseaux. Le grand prêtre est sur le point de porter à Fenena un coup mortel.
En cet instant tragique, les acteurs sont malheureusement peu crédibles. Lorsqu’Ismaël s’interpose, retenant la main de Zaccaria, son amour n’apparaît pas clairement, pas plus que le ressentiment de Zaccaria n’est visible.
Lorsque l’armée de Nabucco tranche la foule, les femmes d’un côté, et les hommes de l’autre, on peut voir la métaphore de la déportation des juifs par les nazis.
Autre tableau : dans son palais de Babylone, Nabucco est foudroyé par le Dieu des hébreux et laissé pour mort dans une scène sombre et orageuse.
Abigaïlle, sa fille adoptive, peut ainsi faire signer au roi déchu la condamnation à mort des hébreux. Dans ce passage, on regrettera des décors minimalistes qui ne mettent pas en valeur les jardins suspendus de Babylone, pourtant l’une des sept merveilles du monde antique.
Mais voici « le chœur des esclaves», qui symbolisa à l’époque l’appel d’un peuple pour son indépendance. Lorsque Verdi créa Nabucco, la population milanaise était en effet sous domination autrichienne. Une forêt de masques parait flotter sans attache dans un noir absolu : les esclaves pleurent leur liberté. Puis, Zaccaria chante l’espérance de sa belle voix grave, et par magie, les capes noires se transforment en un ensemble de tuniques colorées. Les masques blafards s’élèvent à bout de bras tandis que l’espoir renaît. La lumière se réchauffe. Les masques sont posés au bord de la scène… Pour les Milanais comme pour nous, le fameux « chœur des hébreux » est le point culminant de l’opéra, véritable hymne à la liberté.
Plus tard, Nabucco, seul dans une salle du palais se réveille d’un cauchemar. Tandis que la triste assemblée des hébreux conduite au supplice se tient autour de Fenena, Nabucco et ses fidèles soldats interviennent et libèrent le peuple d’Israël.
En conclusion, la mise en scène trop statique ne dessert pas les acteurs qui sont peu crédibles. Par
Philippe Morgand
contre malgré des décors minimalistes, certains tableaux sont d’une grande beauté, évoquant des scènes de la bible (introduction), où des passages plus abstraits (chœur des esclaves). Quant au son de l’orchestre et aux chants, ils ressortent plutôt bien dans cette salle à l’acoustique certes sans relief, mais restant neutre.
Toujours est-il que la Fabrique Opéra de Grenoble a gagné son pari : permettre aux jeunes issus d’enseignement technique et d’apprentissage d’entrer dans l’art lyrique comme acteurs, à travers leurs propres compétences (voir encadré), et de ce fait renouveler efficacement le public.
Les ateliers de Nabucco (Encadré)
«La Fabrique Opéra-Grenoble» dirige un véritable projet d’agglomération qui permet cette année à près de 530 jeunes, issus de ces établissements d’enseignement technique et d’apprentissage, de travailler à la «fabrication» d’un opéra en mettant leurs compétences et leur créativité au service de la conception et la réalisation des costumes, décors, maquillages, coiffures, dispositifs scéniques, réalisation de supports de communication etc…
Les ateliers permettent aux jeunes d’entrer dans l’art lyrique comme acteurs, à travers leurs propres compétences et leur diversité.
Patrick Souillot, le chef d’orchestre, sollicite leur savoir-faire. Il les fait travailler en partenariat avec une équipe artistique – chef d’orchestre, metteur en scène, chef de chant, solistes – pour monter un opéra.
La culture permet à chacun de donner le meilleur de soi dans un projet collectif où l’exigence d’une situation réelle de production engage la responsabilité de chacun.
La Fabrique Opéra de Grenoble intègre dans son projet des lycéens, apprentis et étudiants, issus de lycées techniques, d’écoles professionnelles, du conservatoire, des universités et grandes écoles de l’agglomération.
Le modèle imaginé par Patrick Souillot et son équipe s’est mis en place grâce au dynamisme et à l’implication des proviseurs, directeurs et professeurs des établissements d’enseignement technique partenaires, sans cesse plus nombreux. Depuis 2007, le lycée Argouges (Grenoble), le lycée Prévert (Fontaine) et l’Ecole Academy (Grenoble) ont été rejoints par l’IMT (Institut des Métiers et Techniques – Grenoble), le lycée Louise Michel (Grenoble) et Supcréa (Grenoble) et dernièrement l’ICM (Institut de la Communication et des Médias)– Université Stendhal (Echirolles).
Interviews dans les coulisses de Nabucco
Nadya Dahou-Djilali, lycéenne – Costumes et retouches
Nadya, apprentie couturière au Lycée Argouges participe à la “quatrième” de Nabucco dans les coulisses : elle est retoucheuse. Elle nous décrit son parcours pendant l’entracte.
Son premier opéra? C’était Don Giovanni il y a 4 ans en tant que spectatrice et elle n’avait “pas tellement apprécié”. En revanche l’année suivante pour Carmen, elle est intervenue dans la production en tant que couturière et a adhéré au spectacle: “C’est bien d’assister aux coulisses! Voir ses costumes sur scène ça fait plaisir.”
Et du point de vue professionnel? “Ça permet de faire des retouches avec un rien! Tout à l’heure dans la première partie de Nabucco, j’ai utilisé un bout d’élastique pour réparer une sandale!”, et Nadya nous montre une boite d’élastiques roses destinés à serrer la taille des costumes. Dans les coulisses, elle apprend beaucoup: “tout est bon à prendre”, comme par exemple de faire des retouches rapidement.

Sabine Lantz, enseignante – Costumes
Sabine Lantz, enseignante en couture au lycée Argouges effectue sa 7ème année de collaboration avec La Fabrique Opéra de Grenoble (LFOG). Après le spectacle, bien campée dans la salle de retouches, elle gère son petit monde d’élèves et d’étudiantes d’une main ferme. Bien que sollicitée de toutes parts, elle répond à nos questions: “Pour les élèves ce qui est important c’est l’ambiance et retrouver les copines”. De plus, elles ont une “expérience à mettre sur le CV, et l’année suivante, elles expliquent aux nouvelles.” Sabine nous confirme la grande motivation des jeunes couturières: “Les élèves de BTS n’ont pas cours le vendredi après-midi et viennent bénévolement pendant ce temps libre pour participer au projet.” Elles aident ainsi les jeunes filles de CAP.

Chantal Boy, enseignante – Costumes
Selon Chantal Boy, professeur de couture en BTS au lycée Argouges, c’est également sa 7ème année de travail avec LFOG. Le spectacle de ce soir est le dernier d’une série de quatre, précédée d’un “semaine blanche” pendant laquelle élèves et professeurs sont “sur la brèche” pour terminer les essayages et les retouches. Malgré l’accumulation de la fatigue à cette heure avancée, Chantal nous parle de ses élèves. Elle nous confie que “pour le professeur, c’est valorisant de voir que cela motive les élèves.” Elle aime parler de la grande entreprise que représente un opéra pour ses étudiantes : “Elles font tout dans le projet : la création des maquettes, la conception des patrons et la réalisation des costumes”. Cela leur permet de voir un projet complet et c’est “transposable dans un cadre industriel” (habillement). “Les élèves y trouvent leur compte car c’est du concret”. Prise de confiance et responsabilisation des couturières sont ses maîtres mots.
Certaines étapes sont incontournables et permettent aux jeunes filles de confronter leurs créations aux gens du spectacle: “Les échantillons de couleurs/textures sont validés par le metteur en scène. Pour les essayages des solistes, ça se passe dans les locaux du lycée Argouges”. Quant aux choristes et aux figurants, “ils donnent leurs mensurations, puis les essayages et retouches se font une semaine avant le spectacle” pendant la fameuse “semaine blanche”. Entre temps, leurs costumes auront été montés sur des mannequins.
Chantal s’interrompt afin de répondre à une élève qui range les costumes dans des caisses…pour la prochaine saison? “Non, plutôt pour montrer aux futures élèves comme ça se monte…”
C’est donc bien parti pour une huitième année avec LFOG…
Patrick Boulet, Proviseur
Patrick Boulet, proviseur du lycée Argouges s’implique aussi dans les coulisses. Il accepte volontiers de nous dire quelques mots, tout en attribuant la dynamique du projet aux enseignantes. Les élèves sont-ils critiques quant à l’opéra ? “Non, ils sont surpris!”

Quelle est l’étape la plus importante dans le projet des costumes ? “Le synopsis! C’est la première explication du metteur en scène sur ce qu’est l’Opéra et sa conception, à 100 gamins du CAP au BTS, accompagné de vidéos, dessins des maquettes et textes. A la sortie, les enfants ont tout compris!”
Léa Garrigues, flûtiste – Orchestre
Léa Garrigues, 18 ans joue de la flûte traversière au sein de l’Orchestre symphonique universitaire de Grenoble qui accompagne Nabucco. La jeune étudiante en Science Po a proposé de répondre à nos questions pendant l’entracte “à condition que cela ne prenne pas trop de temps” car elle doit réaccorder son instrument. Il règne un joyeux tohu-bohu dans cette salle réservée aux musiciens amateurs : certains boivent une coupe (de champagne?), d’autres plaisantent où chahutent gentiment en attendant un ordre du chef-d’orchestre.
La jeune flûtiste nous parle de l’investissement qu’a nécessité pour elle la préparation de l’opéra: “La fréquence des répétitions s’accélère à mesure que le spectacle se rapproche!” La salle Morillot, est investie pour 3 heures de répétitions tous les mardis soir, puis deux fois par semaine, enfin tous les jours pendant les dix derniers jours. Sans compter 3 week-ends complets!”
Celà crée un esprit de groupe, explique-t-elle. “On se prend tous des critiques du chef [d’orchestre]!” La discipline resserre les liens.
Léa est de plus “très investie dans l’orchestre” et “participe au conseil d’administration.”
Comment a-t-elle pris part à Nabucco? Il y a 6 mois, “je ne savais pas que j’allai participer au projet de la Fabrique. J’ai fait une recherche sur Google et je suis tombée sur l’orchestre de Grenoble.” “Je ne pensais pas avoir le niveau pour [faire partie d’une telle production], mais je ne regrette pas du tout !”
A-t-elle eut le temps de travailler ses cours pendant les dernières répétitions ? “Les études sont passés au second plan depuis deux semaines. Il y avait beaucoup d’investissement et de pression avant le spectacle, mais au final, c’est une des meilleures décisions que j’ai prises!”
Radio trottoir
Monsieur Miard, professeur et sa femme
Monsieur Miard, professeur de physique au lycée Argouges, vient d’assister pour la première fois au spectacle organisé par ses élèves. Bien que n’étant pas « culturellement opéra », lui et sa femme sont enchantés.
Le professeur n’était pas venu assister aux opéras précédents “par ignorance et par paresse”. Ses propres élèves de BTS participant au spectacle l’ont convaincu de venir. « Ils disparaissent pendant une semaine avant l’opéra!”, nous dit-il. « Ils sont supers motivés.”
Geneviève Flavigny, spectatrice
Geneviève Flavigny, spectatrice, est “époustouflée par la qualité”, elle est « bluffée » et trouve le spectacle « exceptionnel ». Elle profitera cependant de l’entracte pour s’éclipser car « c’est trop long. On ne peut pas écourter un peu?” A propos du choix de l’opéra Nabucco, elle a « du mal à voir qui est qui, à part Abigaïlle. Je parle italien mais je ne comprends pas un mot !”
Une spectatrice
Cette spectatrice rencontrée dans le tram qui l’amenait au spectacle est maquilleuse chez Academy. Elle a effectué des retouches en coulisses lors des 3 premières séances, et elle est contente de venir à la « quatrième » avec son mari en tant que spectatrice.